Affaire Weinstein : en attendant les communicants communiquent.
Vous aurez remarqué que dans la foulée de l’affaire Weinstein, les langues se délient dans le monde de la publicité. Ou plutôt, les annonces se multiplient ; on ne confondra pas en effet, libérer la parole et peaufiner sa communication.
Stratégies a fait sa une sur le sujet et n’a pas manqué d’interviewer pour l‘occasion des femmes. C’était plutôt une bonne idée quand on parle de harcèlement sexuel. Seulement voilà, les femmes qui parlent, avec tout le respect que je leur dois, sont toutes des dirigeantes, des figures du pouvoir. Or le harcèlement sexuel n’est pas tant un problème lié aux rapports entre les sexes que la manifestation d’un pouvoir (souvent masculin) qui se croit sans limite. Tout harcèlement est une violence exercée par le plus fort sur le plus faible lorsqu’il n’existe aucun garde-fou ; c’est à dire aucun contre-pouvoir. C’est pourquoi ne faire parler que les gens qui incarnent ce pouvoir, les voix officielles, les dirigeants quand bien même il s’agirait de femmes, c’est un peu comme l’Arabie Saoudite s’invitant à la commission de la condition féminine à l’ONU. Certes, il est bon que Mercedes Erra ou Valérie Accary soient interpelées sur le sujet et qu’elles expriment leur point de vue de femmes. Elles le font plutôt bien. Les propos de la présidente de BBDO sur cette injonction qui nous est faite d’être « cool » sont d’ailleurs très juste. Mais il aurait été utile que les journalistes fissent entendre également les petites voix, les jeunes créatives, les jeunes commerciales, les filles du trafic, les hôtesses d’accueil. Et si nous sommes prêts à libérer la parole pour le harcèlement sexuel, il serait bien également de le faire pour toutes les autres formes de harcèlement qui concernent les deux sexes : pressions, intimidations, mauvais traitements.
Sur les réseaux sociaux on a vu de nombreuses personnalités du microcosme publicitaire, des grandes gueules, exprimer leur dégoût, leur colère à propos de ce « porc » nommé Weinstein, avec une attitude souvent bienpensante qui dérange quand même un peu. Il ne faudrait pas que l’affaire Weinstein devienne une aubaine pour tous ceux qui pourront finir de se convaincre qu’ils sont des mecs bien en pointant du doigt, en s’offusquant et en s’indignant sans frais.
Il ne nous a pas échappé non plus que tous les groupes publicitaires ont annoncé à tour de rôle, et à grand renfort de démagogie, qu’ils mettaient en place qui des programmes de formation, qui des chartes de bonnes conduites, qui des structures d’écoute. Tout cet attirail, en définitive, pourrait bien être à la lutte contre le harcèlement, ce que le green washing est à la sauvegarde de l’environnement. Une arnaque. Et vous savez pourquoi ? Parce que la lutte contre le harcèlement passe d’abord par la mise en place de structures indépendantes. Puisque que le problème, c’est le pouvoir. On aura beau créer tous les outils pour recueillir les témoignages, solliciter les RH et des consultants, enchaîner les effets d’annonce, s’il n’y a pas une autorité forte et surtout indépendante pour sanctionner, il ne se passera rien. Si une jeune recrue, une stagiaire dénonce un agresseur qui n’est autre que le patron de l’agence ou le directeur de création, ma petite expérience de 30 ans dans le métier me fait penser que l’affaire sera étouffée. Elle se règlera au mieux à l’amiable, autrement dit avec un peu d’argent. Vu que le harcèlement est lié au pouvoir, mettre sous tutelle de la direction, donc du pouvoir, ces chartes, ces structures ou ces programmes relève de l’absurdité ou plus prosaïquement du « foutage de gueule ».
L’autre grande supercherie, c’est de faire croire aux gens que l’enjeu consiste à démasquer le salaud, à dévoiler ce qui se passe à l’insu de tous, dans les ascenseurs ou dans les bureaux fermés et dans la foulée de faire le procès de ceux qui savaient et qui se sont tus. Bertrand Tavernier confessait il y a deux semaines sur France Inter qu’Harvey Weinstein ne se limitait pas à être un odieux personnage en catimini, dans les chambres d’hôtels, mais qu’il se comportait en ordure du matin au soir, insultant, humiliant en public les gens qui travaillaient pour lui, mais aussi le personnel d’hôtels, les serveurs de restaurants ; bref quiconque se trouvait sur la route de cet homme tout puissant. Il ne se gênait pas en outre pour proférer des menaces et les mettre à exécution. Donc tout le monde savait qu’il était un enfoiré. Le plus grand reproche qu’on peut faire à Quentin Tarantino, ce n’est pas d’avoir su et de n’avoir rien dit. C’est d’être le meilleur ami d’un tel personnage. En fait, tout se passe à découvert. Nous feignons de voir ce qui saute aux yeux. Et lorsque qu’on ne peut pas parler de ce qui est connu de tous, c’est probablement que l’exercice du pouvoir a déjà franchi les limites du tolérable. Tout cela est sans doute motivé par la peur, notamment celle de perdre son travail, mais pas seulement. C’est lié aussi à notre fascination sans limite et sans condition pour le talent. Nous sommes hypnotisés, électrisés, galvanisés par le charisme, l’intelligence, l’aura, la réussite. Et il convient d’admettre que les femmes sont aussi coupables que les hommes dans ce domaine. Dans nos métiers, nous avons un besoin quasi pathologique d’idolâtrer une figure, de vénérer un gourou, de ramper devant un maître que ce soit un homme ou une femme. Le sexe n’a rien à voir là-dedans. Au nom du talent, du charisme, de la réussite, on excuse tout, les caprices, les débordements, l’arbitraire, les humiliations et surtout les comportements violents. Qui d’entre nous n’a jamais entendu dire, « il est odieux mais qu’est-ce qu’il est fort, qu’est-ce qu’il est brillant ». Les milieux du cinéma ne disaient probablement pas autre chose à propos d’Harvey Weinstein « c’est un connard humainement, mais quel talent, quel charisme et quelle réussite ». Notre complaisance est évidente. Nous avons un rapport ambigu et malsain avec le pouvoir et ses excès. Rien de neuf dans tout cela. C’est vieux comme le monde. C’est l’histoire du roi et de ses courtisans. Mais cette complaisance est coupable. Coupable de donner un sentiment d’impunité aux hommes et aux femmes de pouvoir et donc de les inciter à aller toujours plus loin dans l’exercice de leur super puissance jusqu’à l’abus. Je ne cherche pas à les excuser. Ce n’est pas le débat. Je dis juste qu’il y a un terrain fertile que nous cultivons tous sciemment ou pas. Et cela ne veut pas dire non plus que les victimes ont leur part de responsabilité. Je ne suis pas de ceux qui pensent que dans une agression sexuelle, la responsable c’est la mini-jupe. Mon propos est de dire que le harcèlement sexuel commence bien avant les allusions graveleuses, le geste déplacé, le baiser imposé ou le corps plaqué sur le mur. Il est annoncé par la façon dont les autres sont traités. Si le serveur du restaurant ou le collaborateur masculin sont considérés comme des moins que rien, ce devrait être un signe avant-coureur pour tout le monde y compris pour les femmes.
Le succès du hashtag, « balance ton porc » ne rassure pas. Il va avoir tendance à faire croire que le problème de harcèlement sexuel est une question de rapports entre hommes et femmes et surtout une question morale. Il serait le fait d’individus isolés, de brebis galeuses, de sujets déviants. Il implique que la solution, c’est la délation et l’élimination de l’individu pervers. On va donc en balancer trois ou quatre à titre d’exemple, qu’on prendra soin de lyncher sur la place publique et ensuite tout rentrera dans l’ordre. Au quotidien, comme font les américains, on évitera de prendre l’ascenseur avec une femme de peur d’être accusé à tort. On voit bien que le problème est tout autre. C’est un problème de système, de mode d’organisations, de super puissance, de subordination sans limite et de fascination du pouvoir. Si le problème n’était lié qu’à la morale ou à des êtres déviants, il n’y aurait pas une femme sur deux qui serait victime de harcèlement sexuel en France. Ou alors il faudrait mettre un homme sur deux derrière les barreaux ou en camp de redressement.
En attendant les communicants communiquent.
Jean Jacques Sébille
je t’aime où un truc dans le genre.
merci