Internet ; l’avis ou la vie ?

Il y a quelques semaines dans un article du Monde signé de Luc Vinogradoff, nous apprenions qu’un tiers au moins des avis sur le net étaient faux ou truqués et qu’ils s’apparentent du coup, à des réelles « fake news ».  Les avis, ce sont ces évaluations, ces commentaires, ces petits mots qu’on laisse sur un produit, un service ou une personne. Une sorte de livre d’or. D’après l’article, ces avis seraient souvent falsifiés ; ils seraient postés par des personnes internes aux entreprises ou par des consultants d’agences conseil en e-réputation qui bombardent de commentaires positifs les marques et les sites pour lesquels elles travaillent. L’article ne fait pas mention des commentaires purement et simplement supprimés par la censure ou, si vous préférez en langage digital, par le modérateur. Ce que ne dit pas non plus l’article, c’est que l’avis négatif peut également être un « fake », issu d’un concurrent, d’un esprit malveillant ou d’un mauvais coucheur.

Au-delà de de la question naïve qui consiste à avoir si les commentaires sont justes ou non, représentatifs ou pas, ce qui interpelle surtout, c’est cette sale manie que nous avons tous de vouloir laisser un avis. Nous ne pouvons nous empêcher de commenter, évaluer, jauger, juger. C’est devenu un sport international, une activité compulsive à plein temps, bougrement addictive et qui a tôt fait de nous transformer en balances, indics, délateurs et redresseurs de torts en tout genre. Mais à part nous donner l’impression que nous sommes hyper importants, le nombril du monde, le centre de l’univers, et que notre avis intéresse la terre entière, ce que nous savions déjà parfaitement avant le digital et les réseaux sociaux, à quoi peut servir cette fichue habitude qui consiste à laisser son avis à la postérité ? Et bien, tout cela, sert à nous détruire. Oui, à nous détruire, je n’exagère pas. Et nous serions bien inspirés de bannir ces commentaires avant qu’ils rendent notre vie impossible.

Tout d’abord, ôtons-nous de l’esprit que ces avis sont de l’ordre de la recommandation, une technique qui remplacerait le bon vieux bouche-à-oreille.  Dans le processus ancien, la clé, c’est la notoriété et la crédibilité de l’émetteur. Or les avis sont généralement laissés par des gens qu’on ne connaît ni d’Eve ni d’Adam et sur lesquels nous n’avons aucune information tangible qui leur donnerait la crédibilité nécessaire.

Ensuite, il y a ce pouvoir exterminateur de l’avis négatif qui détruit tout sur son passage. Tel Attila et ses hordes de Huns déferlant jadis sur l’Europe, rien ne repousse après le passage de l’avis négatif. Il peut atomiser 500 ou 5000 commentaires élogieux en un quart de secondes. D’où, la nécessité impérative de l’effacer quand il advient. Les modérateurs ont raison de le traquer comme l’ennemi numéro 1. En effet, l’enjeu n’est jamais la balance entre le négatif et le positif. L’enjeu, c’est d’être immaculé, irréprochable et donc constant dans la vertu. Et un avis négatif, peu importe qu’il soit fondé ou non, c’est le doute qui s’installe, le soupçon qui s’immisce. La possibilité qu’on ait fauté, qu’on ait péché et donc qu’on soit condamnable. Ne rêvons pas, dans la vie, nous ne sommes nullement définis par la somme de nos actions vertueuses mais uniquement par l’occurrence ou le soupçon de fautes plus ou moins graves que nous pourrions avoir commises. C’est pourquoi l’avis négatif est souvent un jugement expéditif sans avocat de la défense et sans juge d’instruction. L’avis négatif, c’est la rumeur, la réputation, la vengeance et la délation pour finir lapidé sur la place publique. Bref l’avis négatif, c’est la vie sociale qui devient terriblement violente voire impossible.

D’une manière générale, les avis plus que nous informer, réduisent à néant l’intérêt de l’expérience personnelle, de la découverte, de la curiosité, de l’aventure. Bref, l’expérience de l’inconnu. Il nie la naïveté qui veut qu’on ait un a priori positif sur les choses. Il nie le préalable à toute vie sociale, à savoir le besoin de faire confiance à autrui Enfin, il nie la possibilité du rêve. Si on n’y prend garde, le jour viendra où tout sera tellement commenté, qualifié, jugé et gravé dans le marbre que, lorsqu’on rencontrera la femme ou l’homme de sa vie, on aura immédiatement tous les avis compilés des ex, des ami(e)s, des familles, des collègues, des rencontres d’un soir. Et alors on s’étonnera de ne pas trouver l’âme sœur et de finir tous célibataires. Quand je vous dis que les avis c’est la négation de la vie.

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