notre nouvelle campagne contre l’illettrisme
L’année qui vient de s’écouler a été compliquée pour tout le monde mais elle l’a été d’autant plus pour celles et ceux qui sont fragiles. Les personnes en situation d’illettrisme n’ont pas été épargnées notamment les jeunes. On a beaucoup entendu les médias se faire l’écho, à juste titre d’ailleurs, des difficultés des lycéens, des étudiants. Il y avait beaucoup de situations de stress, d’angoisse voire de décrochages. Certains se sont très vite sentis seuls, livrés à eux-mêmes. On imagine aisément ce que cela a signifié pour des jeunes en situation d’illettrisme. Pour ces personnes qui sont sortis du système scolaire en échec complet, avec toutes les difficultés afférentes pour s’insérer, ce contexte a pris les proportions d’un cauchemar.
Lorsqu’on choisit de mettre l’accent sur les jeunes pour une campagne contre l’illettrisme, c’est un éclairage particulier qu’on choisit d’orienter sur cette population. Ce n’est en rien une volonté d’exclure les autres, les plus vieux. Pour dire les choses autrement, on doit être pertinent pour tout le monde notamment sur les jeunes. Et quand on aborde l’illettrisme chez les jeunes, on s’aperçoit qu’on se confronte aux mêmes ressorts psychologiques que pour des populations plus âgées à savoir un sentiment de honte, une estime de soi très écornée et globalement l’impression de n’être que des bons à rien. Il y a souvent à l’origine de cette dévalorisation une expérience traumatisante à l’école qui va au-delà du simple échec scolaire. Or plus on est jeune, plus ce souvenir d’une scolarité douloureuse est encore bien présent, plus la plaie est encore béante. L’inhibition, le découragement sont très forts. Ils sont abyssaux.
Le thème que nous avons développé et proposé à l’ANLCI, tente de casser cette spirale infernale qui a vu des gamins se faire répéter ad libitum depuis leur plus jeune âge, qu’ils étaient mauvais, qu’ils ne réussiraient à rien, qu’ils allaient devoir se contenter de ce qu’on décidait pour eux. Bref leur machine à rêver si prompte à se déclencher quand ils étaient enfants, comme tous les enfants, s’est brusquement arrêtée. Elle a rendu l’âme. Fin de l’enfance, fin de l’innocence. Bienvenue chez les adultes.
Lorsqu’ on parle à un jeune confronté à ces difficultés, il parle généralement à voix-basse. Il marmonne. Quand on lui pose des questions, il répond en baissant les yeux par « je sais pas » ou «si vous voulez ». Il abandonne tout contrôle sur sa vie, toute volonté, toute envie, en attendant sagement et passivement la petite place, la voie de garage que les adultes voudront bien lui concéder. « Apprendre c’est réapprendre à rêver », dit tout l’inverse. Cela dit que l’apprentissage n’est pas une machine à broyer les plus faibles, en tout cas qu’elle ne devrait pas l’être, mais une source intarissable d’énergie, de volonté, d’épanouissement. Apprendre c’est mettre un pied devant l’autre et entrevoir ainsi un chemin qui trace un avenir avec des projets comme compagnons de route. Par ce thème nous souhaitions réaffirmer cette fonction fondamentale de l’apprentissage qui ne consiste pas à aligner des savoirs ou des compétences, mais à se projeter, à être maître de sa vie. A faire quelque chose de sa vie. C’est très vrai quand on a seize ou dix-huit ans, c’est encore vrai quand on en a cinquante.
Apprendre, c’est réapprendre à rêver est un concept presque philosophique. C’est une pensée intellectuelle. Pour ne pas la laisser planer trop haut, il nous fallait l’ancrer dans le réel, dans le quotidien. Et puis tout simplement, montrer que c’est vrai quand on en fait l’expérience. On a donc replacé tout cela à hauteur d’existence dans des témoignages vrais de jeunes à peine sortis de l’illettrisme. Il fallait montrer ce que cela peut signifier pour ces garçons et ces filles de redémarrer la machine à rêver. Le témoignage permet l’angle subjectif, l’appropriation et apporte la crédibilité. Grâce à sa singularité, il est inattaquable.
Qu’on ne s’y trompe pas, ces jeunes ne rêvent pas de devenir astronaute ou star d’Hollywood. Ils rêvent d’avoir un boulot qui les épanouisse, d’être pris à une formation, d’ouvrir une boulangerie, de passer leur permis de conduire, d’avoir quelque chose de positif à dire, de se sentir comme les autres. De se sentir armés. De retrouver un peu d’amour propre.
Dans la mécanique de la campagne, deux mots sont clés : « et puis.. ». Deux mots anodins qui symbolisent à eux seuls le déclic, le changement, le moteur qui se remet en marche et à partir duquel, tout s’enclenche. Avec « et puis », la parole se libère au fur et à mesure que le champ des possibles s’élargit. Nous sommes parvenus en quelques mots à donner l’impression que chacun des jeunes avait des tonnes de choses à raconter. Ces deux mots offrent un hors-champ passionnant qu’on a envie de connaître.
Comme avec les dernières campagnes et notamment celle de 2019, nous souhaitions cette année encore, offrir un miroir valorisant à ces jeunes. Valoriser les apprenants est clé si on veut que la campagne non seulement informe mais qu’elle soit utile pour les encourager et les motiver. Pour les aider à passer de la tête baissée à la tête relevée. Il ne faut jamais perdre de vue que lorsqu’on met quelqu’un sur une affiche on l’expose à tous, à la société tout entière. On le donne à voir. On en fait « la star » même si c’est dans son quartier ou dans son village. Pour des gens qui sont persuadés qu’ils sont nuls et qu’ils ne valent pas un clou, ce n’est pas rien. Cela peut être très intimidant. C’est pourquoi, il fallait rendre les quatre protagonistes belles et beaux. Ne pas dévoyer leurs propos et les respecter dans ce qu’ils sont. On Les a sublimés sans pour autant les transformer ou les modifier. La photographe tenait à garder leur présence naturelle sans la noyer dans des artifices. C’est pourquoi les photos sont sur des fonds neutres avec seule la lumière pour les mettre en valeur. Lorsqu’on photographie des personnes qui ne s’aiment pas beaucoup, c’est toujours délicat. Il y a une période d’adaptation pour arriver à les détendre. A les libérer. Il faut les mettre à l’aise.
Cette campagne s’inscrit dans la continuité du travail que nous menons depuis des années avec l’ANLCI et en particulier avec Hervé Fernandez et Virginie Lamontagne.
Il nous a fallu du temps pour comprendre ce qu’était l’illettrisme, pour comprendre les besoins de l’association et la fonction que remplissent les campagnes. Pour arrêter de raisonner comme une agence arrogante qui croit avoir tout compris en quinze jours. Au-delà d’alerter la société, ces campagnes servent les aidants, tous ceux qui œuvrent auprès des apprenants, dans leur mission. En valorisant le témoignage, nous espérons que la campagne servira d’outil pédagogique et qu’elle poussera des jeunes à avoir le déclic. Qu’ils auront envie d’être sur l’affiche. En 2019 plus de 80 apprenants avec l’aide de leurs aidants avaient réalisés leur propre affiche à partir des nôtres. J’espère que cette année nous battrons les records. En tant que publicitaire ça vaut toutes les récompenses du métier, tous les prix qu’on s’auto décerne.
je t’aime où un truc dans le genre.
merci